L’empire moghol
Comme bien des souverains musulmans d’Asie, les Moghols sont des princes turcs originaires d’Asie centrale. Fondateur de la dynastie moghole en Inde, où il se taille un vaste empire, Babur, descend de Tamerlan. Ses conquêtes font de Babur le plus puissant des princes musulmans d’Inde.
Son fils Humayun connaît des revers militaires qui le contraignent à s’exiler en Iran et les Iraniens l’aident, en 1555, à redevenir maître d’Agra et de Delhi.
Akbar
En 1556, Akbar, né en 1542 au Sind pendant la retraite de son père Humayun, accède au trône à 13 ans, à la mort de celui-ci. Ce souverain, qui marque d’une empreinte considérable l’histoire de l’Inde, régne un demi-siècle, jusqu’en 1605. C’est à lui qu’il revient, lorsqu’il règne personnellement à partir de 1562, d’organiser de façon solide l’empire moghol. Par sa politique administrative et religieuse, il assoie le régime sur des bases stables. Musulman sunnite, il montre une égale estime pour toutes les religions de son empire. Il élabore même, à partir de 1580, le projet d’une "religion divine" (Din-i Ilahi en persan), syncrétique, combinant Islam, Hindouisme, Judaïsme, Christianisme et Zoroastrisme, laquelle reste toutefois sans réel lendemain.

Façade du palais de Salim Shah, dans le vieux Delhi
Les conquêtes d’Akbar apportent à l’empire de nouvelles provinces, ou rétablissent l’autorité moghole là où elle avait été évincée. Pour éviter les rébellions et les soulèvements, Akbar fait appel autant que possible aux chefs locaux qui sont loyaux envers lui et n’écrasent pas trop d’impôts les non-musulmans, ce qui est d’autant plus aisé que les conquêtes enrichissent considérablement le trésor impérial. Par ailleurs, la puissance du souverain veut être sans partage et ses réformes visent à faire de lui le maître incontesté de l’Inde. Des troubles éclateront cependant çà ou là, notamment au Bengale.
Comme mécène, Akbar, dont certains assurent qu’il était illettré, se montre un protecteur très éclairé des peintres, aussi bien dans le domaine de l’enluminure des livres manuscrits que dans celui des tableaux isolés. Sa passion pour les œuvres marquées par le réalisme et la copie des scènes les plus vivantes est à l’origine d’un essor considérable de l’activité des ateliers impériaux de peinture.
Jahangir

Cavalier attaqué par un lion
Ce cavalier est identifié comme le légendaire roi sassanide d’Iran, Bahram Gur, grand chasseur qui est évoqué dans le Khamsa de Nizami et le Shah Nameh ( « Livre des Rois » ) de Firdousi. On peut encore voir à environ 80 km au sud-est de Shiraz, un palais à dômes, le Sarvestan, qui servait de pavilllon de chasse à Bahram V (régnant 421-439). Cette miniature est caractéristique du style moghol au temps de l’empereur Akbar où la figure humaine est souvent comme ici en mouvement.
© Bibliothèque nationale de France
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À la mort d’Akbar, en 1605, son fils Salim est couronné et prend le nom de Jahangir ("le Conquérant du Monde", en persan). Son règne jusqu’à sa mort en 1627 sera une période de prospérité pour l’Inde
Pour la peinture, le règne de Jahangir fut une période faste. Dès son gouvernorat d’Allahabad, il avait possédé un atelier où n’étaient admis à travailler que quelques peintres dont il appréciait le talent exceptionnel. Tantôt le goût de l’allégorie, tantôt l’intérêt pour les scènes intimistes, les planches animalières ou florales, ou encore pour la perfection du portrait, se manifestent dans les peintures de cette époque. Juste, mais doué d’un tempérament violent, Jahangir, qui fit souvent montre de cruauté, était grand amateur de peinture délicate, de musique et d’architecture. Il laissa le souvenir d’un mécène éclairé.
Shah Jahan

L’empereur Shah Jahan tenant un iris
L’empereur Shah Jahan est vêtu d’un riche jama en lamé or, brodé de fleurs rouges et porte des babouches de la même couleur. Il tient un iris dans la main gauche, et, dans l’autre, un sabre dressé, dans un fourreau vert et rouge brodé d’or ; un katar (ou poignard) est glissé dans sa ceinture. L’iris est une fleur quasi dynastique, très souvent représentée dans l’art indo-persan et emblématique chez les Moghols. Contrairement à ses prédécesseurs qui refusaient de la porter, Shah Jahan porte la barbe des musulmans orthodoxes.
Bien que dominé par l’architecture, le règne de Shah Jahan n’en fut pas moins une période faste pour l’ensemble des arts décoratifs. L’un des symboles de la splendeur de la cour du Grand Moghol est sans conteste le célèbre trône du Paon, entièrement réalisé en or incrusté de pierres précieuses (1628-1635), qui servira aux empereurs durant un siècle. Grand lettré et lui-même calligraphe, Shah Jahan favorisa également l’art du livre et de la miniature. Le genre du portrait de cour domine alors, en apparente contradiction avec les principes de l’Islam orthodoxe qui interdit la représentation de la figure humaine. Les premiers exemples de portraits datent de l’époque d’Akbar : les visages tendent peu à peu à s’individualiser grâce à une carnation différente, à une barbe ou à des moustaches ; les silhouettes graciles héritées de l’art persan gagnent en volume. Mais c’est sous Jahangir, puis Shah Jahan que le portrait de cour, réaliste, s’impose. Les peintres adoptent, comme ici, le profil au détriment de la représentation de trois quarts, moins lisible. Un certain hiératisme de la figure humaine domine, accentué par la monochromie relative des fonds. Il est l’exact reflet d’une vie de cour régie par l’étiquette et la hiérarchie des rangs. Ainsi conçu, le portrait exalte la dignité et la grandeur de son commanditaire. À la finesse de l’observation psychologique, manifeste sous Akbar et Jahangir, se substitue progressivement sous Shah Jahan une raideur de convention.
© Bibliothèque nationale de France
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Le prince Khurram, surnommé Shah Jahan, monte sur le trône en 1628, à l’âge de 36 ans. Il se montre, dit-on, un assez grand souverain, quoique certains lui reprochent de n’avoir pas su éviter à la fin de son règne d’être marqué par la guerre et les luttes fratricides.
Sans doute est-ce sous le règne de Shah Jahan que la cour moghole connaît sa plus grande splendeur. Grand amateur de joyaux, Shah Jahan fait édifier de 1628 à 1635 le fameux "trône du paon" qui servira aux empereurs durant un siècle. En 1638 Delhi devient la capitale de l’empire. Pour brillant qu’il soit, ce règne n’est cependant marqué par aucune action militaire vraiment remarquable et la justice de l’empereur et de ses gouverneurs s’exerce avec une implacable rigueur.
De son épouse Mumtaz Mahal, une musulmane pieuse qui meurt en 1631, et pour la sépulture de laquelle il fit édifier le Taj Mahal, il a 14 enfants. Dès son vivant ses fils commencent à se disputer le trône, et pendant plusieurs années l’empire est le théâtre de leur lutte pour la succession d’un père trop occupé par les divertissements de son harem. En 1657, les quatre prétendants sont déjà des hommes mûrs lorsque leur père tombe malade : Dara Shikoh a 43 ans, Shudja 41 ans, Aurangzeb 39 ans, tandis que Murad Bakhsh en a 33. Chacun gouverne alors une province : l’aîné le Pendjab, le second le Bengale et l’Orissa, Aurangzeb le Deccan et son cadet le Gujerat.
À l’issue de plusieurs batailles, Aurangzeb, plus rusé et plus valeureux militaire, finit par l’emporter sur son père et sur ses frères. Le 8 juin 1658, il s’empare du fort d’Agra, où le vieil empereur demeure captif jusqu’à sa mort qui ne surviendra qu’en 1666.

Noble persan et musicien
Un noble persan fait face à un musicien jouant du kamanche (vièle à pique des cours indo-persanes). Tous deux sont coiffés de larges turbans à la mode persane. Cette page est attribuée à Muhammad Khan, peintre qui a notamment travaillé pour Dara Shikoh, fils aîné de l’empereur Shah Jahan (régnant 1628-1658). En haut et en bas, deux bandeaux calligraphiés et enluminés ont été collés postérieurement. Ces vers d’écriture nasta’liq sont des extraits du Diwan du poète Hafiz ; ils proviennent sans doute d’un manuscrit réalisé à Shiraz, vers 1600. Curieusement, ces distiques évoquent le vin, alors que des vers faisant l’éloge de la musique conviendraient mieux.
© Bibliothèque nationale de France
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Le prince Muazzam Shah Alam à la chasse

Le favori Mullah Du Piyaza
Œuvre quasi caricaturale représentant un gros mullah aux jambes courtes, monté sur un cheval bai famélique et coiffé du lourd "turban à bâton". Né en Arabie, Mullah Du Piyaza fait partie des "Neuf joyaux" de la cour d’Akbar, connus sous le nom de Nauratan. Après de nombreuses pérégrinations, il arriva en Inde avec l’armée d’Humayun et s’installa à Delhi. Son surnom Du Piyaza ("deux oignons") vient de sa passion pour le plat de viande aux oignons. Célèbre pour ses excentricités, il devint un favori d’Akbar et excita la jalousie des grands de la cour, mais il savait se défendre et souvent leur fit honte par ses sarcasmes. En 1600, à l’âge de 60 ans, il tomba malade lors d’une marche dans l’armée d’Akbar. Il mourut après bien des souffrances et fut enterré à Handia. Il semble qu’il fut un homme très doué, mais sa vie fut attristée par ses souffrances physiques, sa vie errante et l’inimitié de ses rivaux. Le dessin de sa "Rosinante" rappelle la tradition des chevaux faméliques des œuvres persanes ou mogholes des 15e-16e siècles.
© BnF
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Shah Jahan est le dernier empereur moghol du 17e siècle à encourager les peintres. Depuis le 16e siècle, l’Inde accueille un nombre important de poètes, d’artistes, de commerçants, de savants ou de religieux qui quittent temporairement ou définitivement la Perse pour y faire fortune. Les rapports sont d’autant plus étroits que le persan était la langue de la cour moghole tout comme elle était en usage dans les autres États musulmans d’Inde.
Bientôt, l’empire vacille sous les invasions extérieures et intérieures. En 1739, le Persan Nadir Shah ordonne le pillage de la capitale moghole, Delhi. L’empire moghol ne connaît plus qu’une longue agonie jusqu’à la mort du dernier Timouride, Bahadur Shah II, détrôné par les Britanniques en 1857.