La Corbusierhaus de Berlin

— par Jean-Yves Cendrey

“Les villas de ce quartier recherché étaient lourdes, sans autre intérêt que celui d’être au calme, pas fières mais lourdes, inintéressantes au possible, écrasées, ridiculisées par la masse prodigieuse et la polychromie hardie de Corbusierhaus, cette copie mal connue de la Cité radieuse, sortie du bois en 1958, haute de cinquante-trois mètres, longue de cent quarante et large de vingt-trois. Honecker et Turid la connaissaient par cœur, l’aimaient énormément, falaise vivante, utopie en dur et défi du temps. Le Corbusier avait fait fort, et beau, et n’avait pas plu à tout le monde selon sa chère habitude.

Deux mille privilégiés pouvaient y jouir d’un panorama extraordinaire si le dur caractère du logement social ne les effrayait pas. Ils étaient en fait beaucoup moins à apprécier le béton peint et l’odeur d’hôpital, le linoléum gris et les tubes au néon des couloirs infinis dont Turid et Honecker avaient adoré l’atmosphère, mais en esthètes, pas autrement qu’en esthètes, les malins.”

Honecker 21, Jean-Yves Cendrey, Actes Sud, 2009