L'île Saint-Louis

— par Louis Aragon

Le dernier lambeau du jour donnait un air de féerie au paysage dans lequel la maison avançait en pointe comme un navire.
On était au-dessus de ces arbres larges et singuliers qui garnissaient le bout de l’île, on voyait sur la gauche la Cité où déjà brillaient les réverbères, et le dessin du fleuve qui l’enserre, revient, la reprend et s’allie à l’autre bras, au-delà des arbres, à droite, qui cerne l’île Saint-Louis.
Il y avait Notre-Dame, tellement plus belle du côté de l’abside que du côté du parvis, et les ponts, jouant à une marelle curieuse, d’arche en arche entre les îles, et là, en face, de la Cité à la rive droite… et Paris, Paris ouvert comme un livre avec sa pente gauche la plus voisine vers Sainte-Geneviève, le Panthéon, et l’autre feuillet, plein de caractères d’imprimerie difficiles à lire à cette heure jusqu’à cette aile blanche du Sacré-Cœur…
Paris, immense, et non pas dominé comme de la terrasse des Barbentane, Paris vu de son cœur, à son plus mystérieux, avec ses bruits voisins, estompés par le fleuve multiple où descendait une péniche, une longue péniche aux bords peints au minium, avec du linge séchant sur des cordes, et des ombres qui semblaient jouer à cache-cache à son bord… Le ciel aussi avait son coin de minium…

Aurélien, Louis Aragon, 1944