Les Grecs et l’écriture

L’alphabet grec, toujours en usage aujourd’hui, se constitue par étapes successives. Simple et efficace, il est progressivement adopté et transformé par de nombreuses civilisations. Dans la Grèce antique, il favorise peu à peu l’alphabétisation et la pratique de la lecture. Mais l’écriture grecque constitue aussi la base et la garantie de la démocratie grecque.

Un alphabet fondateur

L’alphabet grec dérive du phénicien, langue des navigateurs et commerçants basés sur le territoire de l’actuel Liban.
Les Grecs l’adoptent aux environ de – 800 mais lui apportent une innovation majeure : l’invention des voyelles, qu’ils créent en réutilisant les consonnes du phénicien non adaptées à leur propre langue. Au 4e siècle avant J.-C., diverses formes d’écritures se répandent à travers le monde grec ; elles s’unifient finalement autour de l’alphabet classique de 24 signes choisi par Athènes. Au début, les mots sont écrits sans séparation ; plus tard, on les a séparés les uns des autres et on a pratiqué l’accentuation.
La simplicité de ce nouveau système permet un accès plus direct à la lecture et à l’écriture. Grâce aux conquêtes d’Alexandre le Grand (356-323 avant J.-C.), le grec s’étend alors à travers le monde. L’alphabet grec, toujours en usage aujourd’hui, est l’ancêtre des alphabets copte, cyrillique et peut-être aussi de l’écriture runique.
Les Latins s’en inspirent pour créer leur propre alphabet. Celui-ci, après transformations et variations, se trouve être à l’origine d’un bon nombre de systèmes encore utilisés aujourd’hui pour noter quantité de langues du monde. Des lettres grecques sont à la base de nombreux symboles mathématiques et scientifiques, le plus célèbre étant la lettre π (Pi).

Stèle en écriture phénicienne (punique ? )
Stèle en écriture phénicienne (punique ? ) |

© BnF

Stèle votive à caractères grecs
Stèle votive à caractères grecs |

© BnF

Le rôle de l’écriture dans la démocratie

Cadmos apportant l’alphabet aux Grecs
Cadmos apportant l’alphabet aux Grecs |

© BnF

L’histoire politique de la Grèce ancienne est intimement liée aux développements de l’écriture. Vers 650 avant J.-C., l’écrit fait son entrée dans la cité et commence, sous une forme monumentale, à jouer un rôle central dans la conduite des affaires de l’État. Le législateur Solon décide que les lois de la cité doivent être mises par écrit et rendues publiques, visibles et lisibles, au centre même de l’espace public : nul n’est censé ignorer la loi. Les lois sont écrites sur des tables de pierre en lettres géométriques peintes le plus souvent en couleurs vives. Elles sont dressées dans le Prytanée, lieu de la décision politique, ou gravées sur les parois des sanctuaires. La publicité donnée à la loi dans les endroits les plus en vue de la cité fait de l’écrit la base même de la démocratie et permet à tout citoyen de prendre connaissance des décisions de la cité et d’exercer un contrôle sur les modalités de leur application.
Grâce à l’écriture, le citoyen peut également intervenir dans les affaires de l’État. La pratique de l’ostracisme illustre bien le rôle indispensable de l’écriture dans le fonctionnement de la démocratie : en effet, chaque citoyen pouvait une fois par an écrire sur un tesson, ou ostracon, le nom d’un personnage qui, d’après lui, prenait trop d’importance dans la vie publique. Si le même nom apparaissait plus de 6 000 fois, on éloignait l’intéressé d’Athènes pour dix ans.
De cette manière, la cité se trouvait garantie par l’écriture du retour de la tyrannie. Dans le domaine juridique, l’écriture est aussi une garantie de protection des citoyens. L’écriture des lois bouleverse l’exercice traditionnel du droit : il se fait plus précis et moins arbitraire dès lors que les peines correspondant aux délits sont écrites et par là même immuables. Tout citoyen peut consulter décrets et lois, et poursuivre ceux qui ne s’y conforment pas. Devant la loi écrite, tous les citoyens sont égaux en droit.

Une alphabétisation croissante

Almageste de Claude Ptolémée
Almageste de Claude Ptolémée |

© BnF

L’écriture en Grèce est aussi et d’abord au service de la culture orale : elle permet de rendre la parole plus efficace pour partager la littérature épique et, plus globalement, les œuvres en vers, ou encore des inscriptions ou des textes courts peints sur des objets. Mais le livre a encore une autre fonction : conserver les textes et les rappeler ainsi à la mémoire, c’est-à-dire les conserver.
Entre le 6e siècle et la fin du 5e siècle avant J.-C. se développe une alphabétisation assez large, qui permet de lire les inscriptions officielles ou privées, peut-être même dans les couches inférieures de la société urbaine.
Dans les dernières décennies du 5e siècle avant J.-C., le livre destiné à la lecture se distingue du livre destiné seulement à la fixation et à la conservation du texte. On peut observer cette transition dans les scènes représentées sur les vases de céramique de cette période : des écoliers consultent des livres, des lecteurs – d’abord des hommes, puis très vite des femmes – se livrent à la lecture… Ces lecteurs ne sont pas solitaires, ils apparaissent en général dans des scènes de réception ou de conversation, signe que la lecture reste surtout une pratique de la vie en société. Bien que connue, la lecture solitaire est peu fréquente, si l’on en croit les très rares témoignages iconographiques et littéraires qui nous sont parvenus.