Le Bernin et Borromini

— par Gérard Macé

Borromini a d’abord été dans l’ombre du Bernin sur le chantier de Saint-Pierre, puis il le retrouva au palais Barberini, quand, à la mort de Maderno, il fallut achever l’édifice qui reste encore aujourd’hui l’un des premiers exemples du baroque civil, et l’un des plus réussis. C’est sur ce chantier (où il est parfois impossible de démêler ce qui revient à l’un ou à l’autre) que leur antagonisme, voilé puis ouvert, se mue en une cordiale et définitive détestation. Non seulement ils ne travailleront plus ensemble, mais ils deviendront des rivaux quasi mortels, ne cessant de s’empoisonner mutuellement l’existence : ainsi, après que des lézardes apparurent sur la façade de Saint-Pierre dont Le Bernin avait été le dernier responsable, Borromini joua un rôle actif dans la commission qui décida de démolir le campanile en 1645 ; et l’année suivante, il fit détruire la chapelle de la Propaganda Fide, œuvre du Bernin, afin d’édifier la sienne sur le même emplacement (la chapelle dite des Rois Mages). Le Bernin ne chercha pas moins à nuire à son rival, autant qu’il le pouvait, auprès des grands prélats et des papes successifs, et l’on rapporte quelques paroles qui se voulaient cruelles à l’endroit de Borromini ; c’est Le Bernin qui lança l’accusation de “gothique” (c’est-à-dire allemand, donc luthérien), précisant même qu’il préférait, lui, être un mauvais catholique plutôt qu’un “bon hérétique”. Et tandis que les autres architectes ne perdent jamais de vue les proportions du corps humain, Borromini selon Le Bernin s’inspire du corps des Chimères.

Rome ou le firmament, Gérard Macé, 1 983, Fata Morgana