La Mésopotamie, berceau de l’écriture

Les hommes vivent et meurent sur la terre depuis plus d’un million d’années, mais l’écriture n’existe que depuis 5 500 ans…
C’est en Mésopotamie (littéralement “le pays entre les fleuves), quelque part en bordure du Tigre ou de l’Euphrate, que l’écriture est apparue pour la première fois.
Il y a 5 000 ans, coexistent de part et d’autre du Tigre deux civilisations : la civilisation sumérienne, entre le Tigre et l’Euphrate, et la civilisation proto-élamite, à l’est du Tigre, dont la capitale est Suse (Iran actuel). Organisées sous l’autorité d’un souverain, les populations sont urbanisées et composées d’administrateurs, de marchands, d’artisans, de paysans et de bergers qui pratiquent des échanges, administratifs ou commerciaux.
C’est sans doute la nécessité ressentie par les hommes de conserver la trace de leurs échanges qui est à l’origine de l’invention de l’écriture. Ce sont les Sumériens qui perfectionnent le système. Les Élamites ne vont pas au-delà de leurs propres pictogrammes et empruntent plus tard le modèle sumérien pour noter leur langue.

L’homme a su compter avant de savoir écrire !

L’écriture naît à la croisée de deux pratiques :

Une pratique du dessin s’appliquant à reproduire d’une manière schématisée les objets et les êtres de l’univers sumérien (épis, bœuf, chèvre, pain, roi…).

Une pratique comptable substituant aux objets à compter des petits jetons en pierre ou en argile affectés d’une valeur convenue.
Lorsqu’on imagine de remplacer ces jetons, ou calculi, par les dessins de ce qu’ils représentent, l’écriture est née, c’est-à-dire un système d’environ un millier de caractères clairement identifiables. Sa première fonction est donc de faciliter l’enregistrement des transactions commerciales à une époque de grande prospérité économique (l’invention récente de la roue venait de dynamiser les échanges en Mésopotamie).
Il s’agit primitivement d’une “écriture de choses”. On trace sur de petites tablettes d’argile humide, au moyen d’un roseau taillé en pointe, des signes pictogrammes permettant d’identifier l’objet évoqué grâce à sa ressemblance avec ce qu’il désigne. Le scribe les tient dans sa main et écrit en colonnes de haut en bas et de droite à gauche. Cette écriture de choses devient progressivement une “écriture de mots”, sous l’effet d’une évolution technique. En effet, la demande augmentant, le scribe se met à utiliser des tablettes plus grandes qu’il fait reposer sur son avant-bras : il est ainsi amené à faire pivoter les signes d’un quart de tour vers la gauche et à écrire horizontalement et de gauche à droite.
Les pictogrammes primitifs perdent alors leur caractère réaliste et cette première abstraction favorise sans doute l’utilisation phonétique du signe, substituant à l’écriture de mots, l’“écriture du son”. Cela permet de diminuer le nombre de caractères (près d’un millier au départ), le même signe pouvant servir à désigner plusieurs objets différents dotés de la même valeur phonétique : ainsi, par exemple, le pictogramme de la flèche (ti) sert-il à désigner aussi la vie (ti).
Dans une langue où de nombreux mots sont monosyllabiques, les homophonies abondent, rendant souvent difficile le choix du bon sens du mot, d’autant plus que le même signe peut, par extension, désigner des objets proches mais de prononciation différente.

Le « caillou Michaux »
Le « caillou Michaux » |

© Bibliothèque nationale de France

Ainsi le signe de l’étoile désignait aussi le dieu (dingir) et par extension le ciel (an).
Ceci explique la nécessité qui s’impose alors aux scribes d’inventer de nouveaux signes “classificatoires” pour aider à l’interprétation, mais aussi l’utilité de recourir, parallèlement à l’inscription des signes, à une transcription phonétique permettant de choisir le sens.
Ce pas de géant franchi, il n’a fallu que peu de siècles pour que l’écriture cunéiformeconquière toutes les capacités d’un système désormais propre à servir d’exacte doublure du parler, et à en matérialiser toutes les nuances.

L’écriture cunéiforme

Tablette d’argile avec écriture cunéiforme, langue sumérienne
Tablette d’argile avec écriture cunéiforme, langue sumérienne | © BnF

Les caractères cunéiformes sont appelés ainsi en raison de leur ressemblance avec des clous, du latin cuneus : les scribes, en effet, utilisaient l’extrémité d’un roseau taillé en biais et s’en servaient comme d’une sorte de tampon à imprimer ; le dessin obtenu ressemblait effectivement à un clou.
C’est à Sumer, semble-t-il, que naît l’écriture, première grande matrice encyclopédique permettant le stockage des informations et leur diffusion toujours plus vaste. Pratiquée dans tout l’Orient durant trois millénaires avant J.-C., l’écriture cunéiforme sert à transcrire de nombreuses langues : le sumérien, l’akkadien, l’assyrien, le babylonien, l’araméen, le hittite et l’ourartéen notamment.
L’écriture cunéiforme permet de transcrire rituels et hymnes religieux, formules divinatoires et aussi ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler “littérature”, dont la célèbre épopée de Gilgamesh, dont on a retrouvé des fragments à Ninive, sur l’emplacement de l’ancienne bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal (669-627 avant J.-C.). Aussi longtemps que les Sumériens vivent en paix avec les Akkadiens, en Mésopotamie (Sumériens au sud, Akkadiens au nord), l’écriture cunéiforme sert à transcrire le sumérien. Mais très vite, les Akkadiens dominent l’ensemble de la Mésopotamie ; et, à partir de l’an 2 000 avant J.-C., l’akkadien devient l’unique langue parlée tandis que le sumérien joue le rôle d’une langue sacrée (un peu comme le latin en Occident).

L’Épopée de Gilgamesh
L’Épopée de Gilgamesh |

© BnF

Tablette assyrienne : écriture cunéiforme
Tablette assyrienne : écriture cunéiforme | © BnF

L’épopée du déchiffrement

Le déchiffrement de l’écriture cunéiforme est l’occasion d’aventures innombrables. Le premier archéologue linguiste à s’y risquer est l’Allemand Carsten Niebuhr qui, au 18e siècle, parcourt la Perse sous un déguisement destiné à le protéger des attaques des nomades. C’est lui qui, le premier, copie les inscriptions à Persépolis.
Au siècle suivant, Rawlinson, un diplomate anglais, réalise au péril de sa vie la copie d’autres inscriptions, gigantesques celles-là, gravées sur une très haute falaise des monts Zagros, le rocher de Behistun. Il doit pour cela se faire suspendre par des cordes aux saillies du rocher. Les inscriptions, toutes en écriture cunéiforme, sont en trois langues : en vieux perse, en élamite et en babylonien. C’est grâce aux deux premières langues que le babylonien peut alors être déchiffré. On s’aperçoit alors qu’il renvoie à une langue beaucoup plus ancienne, le sumérien, inconnu jusqu’alors.