Construire en terre crue

Construction en terre crue
Construction en terre crue | © Philippe Malgat

La terre est l’un des plus anciens matériaux de construction. Car construire en terre crue permet d’exploiter le matériau le plus proche, celui que l’on a sous les pieds, disponible à peu près partout dans le monde. La brique en terre crue et la brique compressée, de même que le pisé, sont les techniques de construction en terre qui ont été les plus utilisées dans l’histoire de la construction jusqu’à nos jours.
Aujourd’hui encore, près de la moitié de la population mondiale vit dans un habitat en terre crue.

Différentes techniques

Il existe plusieurs techniques de construction en terre.

  • Le pisé. Le pisé est un mélange de terre, de sable ou de gravier et d’argile crue malaxés puis compactés.

    On compacte de fines couches de terre légèrement humidifiées entre des coffrages et l’on démoule immédiatement : c’est l’ancêtre du béton. La terre est compactée avec un outil, le “pisoir”. Le toit, parfois construit en premier, est souvent très débordant afin de protéger les murs en pisé des pluies.
    Aujourd’hui, on utilise des coffrages métalliques et des outils de compactage pneumatiques comme le fouloir. Certaines normes de construction peuvent parfois obliger les constructeurs à stabiliser la terre à pisé avec des additifs, comme du ciment ou de la chaux, pour en garantir la solidité.

Aujourd’hui, la pose du torchis est accélérée par l’emploi de panneaux de bois assemblés à l’avance.
À voir :

  • Le torchis. Le torchis est un mélange de terre argileuse fine et de paille. Il est appliqué sur une structure de pans de bois, appelés les “colombes”, et de lattes entrelacées de plus petite taille. L’ensemble est ensuite recouvert de chaux. On trouve de nombreuses maisons “à colombages” dans l’est et le nord de la France.
  • L’adobe. L’adobe est une brique en terre crue moulée. Traditionnellement, elle est formée à la main dans un moule en bois, ou comprimée à l’aide de pilons de bois. La brique est ensuite séchée à l’air libre. La terre est parfois mélangée à des fibres végétales, comme de la paille, afin de la stabiliser. Aujourd’hui, des techniques permettent de produire ces briques de façon plus industrielle : rouleau compresseur comportant des alvéoles pour façonner les briques, étuves pour accélérer le séchage… On parle alors de briques extrudées. Apparues au 20e siècle, les BTC sont des briques de terre comprimées fortement à l’aide d’une presse. Elles doivent sécher plusieurs jours et garder un certain taux d’humidité et sont parfois stabilisées à la chaux. Elles permettent de réaliser des constructions dans des délais assez courts.
  • La bauge. La bauge est une technique de construction qui consiste à façonner des boules de terre argileuse que l’on empile directement à la main et que l’on tasse pour former un mur massif monolithique, c’est-à-dire d’une seule pièce. On emploie ensuite un outil tranchant pour lisser le mur. Aujourd’hui, les bâtiments en bauge peuvent être restaurés mais la technique n’est plus guère employée.
Construction en pisé
Construction en pisé | © Philippe Malgat
Mur en brique de terre crue (adobe)
Mur en brique de terre crue (adobe) |

© Philippe Malgat

Quelle terre pour construire ?

Le sol est composé de plusieurs strates. La première couche est composée de “terre végétale”, ou humus, qui contient des résidus végétaux et qui est utilisée pour la culture agricole. La seconde couche est une “terre minérale”, sans résidus. C’est cette strate qui est employée pour construire en terre crue.
Selon le type de technique utilisée, on choisira des terres plus ou moins riches en argile, en sable, en gravier, etc. Mais une même terre peut être utilisée pour plusieurs techniques selon son état hydrique, c’est-à-dire son taux d’humidité. Elle peut être sèche (0-5 %), humide (5-20 %), plastique (15-30 %), visqueuse (15-35 %) ou liquide (> 35 %).

Matériel nécessaire pour la construction en pisé (terre crue)
Matériel nécessaire pour la construction en pisé (terre crue) |

© e-rara.ch

La pyramide de Khéops à Gizeh
La pyramide de Khéops à Gizeh | © Bibliothèque nationale de France

Antiquité : construire grand avec la terre crue

On construit en terre crue depuis des millénaires. Dans les régions où les pluies sont rares, des édifices en terre crue peuvent même exister encore aujourd’hui. C’est le cas des grandes ziggourats de Mésopotamie comme la ziggourat d’Ur ou celle de Babylone, ces immenses constructions à étages faites de briques crues liées avec du bitume ou de l’asphalte, et intercalées avec des roseaux. En Égypte aussi, certaines pyramides ont un cœur de briques crues, recouvert de pierres calcaires.
La Grande Muraille de Chine, commencée au 3e siècle avant Jésus-Christ, est en partie construite en terre. Elle s’étend sur près de 7 000 km et ses matériaux varient suivant le terrain. Des portions entières sont édifiées en terre crue, seul matériau à disposition localement. La technique utilisée est la bauge.

La maison médiévale à pans de bois
La maison médiévale à pans de bois |

Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons

Moyen Âge : des maisons aux édifices prestigieux

Au Moyen Âge, la construction en terre est la technique la plus couramment employée pour les maisons, car elle coûte quatre fois moins cher que la pierre et offre la meilleure isolation thermique. On a surtout recours à la technique du torchis : les murs des maisons sont constitués d’une armature de branches, remplie d’argile ou d’un mélange de terre et de paille appelé torchis.
À partir du 13e siècle apparaît la technique des pans de bois : une ossature en bois, souvent montée à l’avance, est remplie de plâtre ou de torchis. Cette évolution, qui allège l’ensemble, permet de construire des édifices à plusieurs étages. Mais des édifices très prestigieux peuvent aussi être faits de terre. Ainsi à Grenade, en Espagne, les remparts de l’Alhambra sont en partie construits en pisé. La tour de Comares, haute de 45 m, est la plus haute construction d’Europe en terre crue. Mais le plus haut bâtiment du monde en terre crue se trouve au Yémen : il s’agit du minaret de la mosquée Al Muhdhar qui se dresse à 53 m de haut.

Minaret de la mosquée Al Muhdhar au Yémen
Minaret de la mosquée Al Muhdhar au Yémen |

© Par Jialiang Gao www. peace-on-earth. org — Original Photograph, CC BY-SA 3.0

La tour de Comares à l’Alhambra de Grenade
La tour de Comares à l’Alhambra de Grenade | © Cécile Bramoullé

16e siècle : les premiers gratte-ciel

La ville de Shibam au Yémen
La ville de Shibam au Yémen | © Par Jialiang Gao www. peace-on-earth. org — Original Photograph, CC BY-SA 3.1

Les premiers gratte-ciel du monde datent du 16e siècle et ils sont en briques crues ! On les trouve dans la ville de Shibam au Yémen. Ces bâtiments hauts de 30 m comptent huit étages et datent pour certains du 16e siècle.
Pour éviter qu’ils ne s’effondrent, les constructeurs ont développé des techniques élaborées pour alléger les édifices :

  • les murs sont beaucoup plus épais à la base qu’au sommet ;
  • les ouvertures sont plus nombreuses et plus larges au fur et à mesure que l’on monte.

20e siècle : un abandon partiel

Dans la première moitié du 20e siècle, les constructions en terre crue restent fréquentes.
Certaines techniques sont très simples à mettre en œuvre et permettent à chacun de construire ou agrandir sa maison. D’autres nécessitent un savoir-faire particulier. Ainsi, les maisons en pisé doivent être réalisées par des charpentiers qui maîtrisent la technique du coffrage en bois.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays les plus riches abandonnent majoritairement la construction en terre crue pour reconstruire en verre, béton ou acier. Mais la construction en terre crue reste la règle dans de nombreux pays du monde.

21e siècle : la redécouverte d’un matériau durable et écologique
Mur en brique de terre crue (adobe)
Mur en brique de terre crue (adobe) | © Philippe Malgat

De nos jours, la terre crue intéresse à nouveau les constructeurs, car elle répond à la recherche de solutions respectueuses du développement durable. En effet :

  • elle est naturelle et saine. Elle absorbe notamment les ondes électroniques et ne provoque pas d’allergies ;
  • elle est disponible localement (pas de transport). Les chantiers sont propres et ne génèrent pas de déchet chimique ;
  • elle ne nécessite pas de transformations coûteuses en énergie. De plus, elle se répare facilement, sans intervention lourde ;
  • elle possède de bonnes propriétés thermiques et conserve la fraîcheur en été ;
  • souple et adaptable, elle est compatible avec les anciens matériaux pour la restauration. Et évidemment, elle est complètement recyclable.

Un grand merci à Philippe Malgat, formateur technique chez Étude et Chantier, et spécialiste de la construction en terre crue, et à Antoine-Gaël Marquet.