Le Petit Trianon

— par Chantal Thomas

Le personnage principal de ce roman publié en 2 002 est Agathe-Sidonie Laborde, lectrice de la reine Marie-Antoinette. Elle évoque les journées heureuses passées au Petit Trianon en sa compagnie.

"La reine avait dormi au Petit Trianon, bien que le mardi fût, traditionnellement, réservé à la visite des Ambassadeurs, ou bien la reine ne se sentait pas tenue de les accueillir… je devais la rejoindre en sa chambre même. Je m’en faisais une fête. Lorsqu’elle était dans son domaine, il m’était possible de capter son attention. Manifestement, elle était beaucoup plus heureuse au Petit Trianon qu’au château de Versailles. Chaque fois, à Trianon, dans le geste même par lequel elle m’invitait à m’asseoir, je décelais une bonne humeur et une gentillesse particulière.
[…]
Ma visite était attendue. Je montai l’escalier de marbre qui conduisait au premier étage où était sa chambre. Je revois la courbe de l’escalier, les pots de faïence bleu et blanc posés sur les marches et dont la vue me donnait envie d’aller un jour en Hollande (j’aime infiniment les moulins à vent), le couloir un peu étroit, à la mesure de deux personnes se croisant à se frôler, les portes avec écrits dessus à la craie – comme, en villégiature à Marly, Fontainebleau, Saint-Cloud, dans les logements réquisitionnés chez l’habitant et où logeaient les gens qui n’avaient pas trouvé de place au château – les noms des rares amis estimés dignes de passer la nuit au Petit Trianon. Il y avait aussi, dans des encoignures, des cagibis improvisés pour les domestiques, des planches démontables sur quoi ils posaient un mince matelas qu’ils roulaient dès leur réveil et dissimulaient. Au Petit Trianon, comme à Trianon et au château, le jour effaçait les traces de la nuit. Mais pas chez elle, non, pas dans sa chambre, pas dans le territoire privé qu’elle marquait de sa douceur, de son parfum. Là, nuit et jour se mêlaient, se continuaient, s’entrecroisaient. Et c’était surtout vrai dans cette chambre du Petit Trianon, qui lui était si chère parce qu’elle ne se confondait en rien avec une scène officielle. Elle donnait sur un étang et sur le Temple de l’Amour, que voilait en partie le premier plan d’une petite forêt de roseaux."

Les Adieux à la reine, Chantal Thomas, 2 002 (Seuil)