Un château en triste état

— par Ken Follett

– "J’espère que vous ne vous attendez pas à être attaqués bientôt."
Ses paroles produisirent un effet beaucoup plus spectaculaire qu’il ne s’y attendait. Matthew sursauta et le comte se leva d’un bond. "Pourquoi dis-tu cela ? " demanda-t-il sèchement.
Tom sentit qu’il avait touché un point délicat. "Parce que vos défenses sont en triste état, dit-il.
– Comment cela ? demanda le comte. Sois précis, maçon ! "
Il prit une profonde inspiration. Le comte était irrité mais attentif. "Le mortier des murs du corps de garde s’effrite par endroits, ce qui laisse une ouverture pour glisser un levier. Un ennemi pourrait facilement faire sauter une pierre ou deux ; dès l’instant où il y a un trou, il devient facile d’abattre le mur. Et puis", s’empressa-t-il d’ajouter sans laisser à personne le temps de commenter ni de discuter, "et puis tous vos créneaux sont endommagés. Il y a des endroits où ils ont même disparu. Cela laisse vos archers et vos chevaliers exposés…
– Je sais à quoi servent les créneaux, fit le comte avec agacement. Rien d’autre ?
– Si. Le donjon a un magasin avec une porte en bois. Si j’attaquais le château, je passerais par là et je mettrais le feu aux provisions.
– Et si tu étais le comte, comment empêcherais-tu cela ?
– Avec une pile de pierres déjà taillées, une réserve de sable et de chaux pour le mortier et un maçon prêt à porter cette porte en cas de danger."
Le compte Bartholomew dévisagea Tom. Ses yeux bleu pâle étaient mi-clos et un pli soucieux barrait son front. En voulait-il à Tom d’avoir ainsi critiqué les défenses du château ? On ne pouvait jamais dire comment un seigneur réagirait aux critiques. Mieux valait dans l’ensemble les laisser commettre leur faute. Mais Tom était dans une situation désespérée.
Le compte sortit enfin de ses pensées. Il se tourna vers Matthew et dit : "Engage cet homme".

Les Piliers de la terre, Ken Follett, Stock 1 989